Question posée à Radu Mihail, consultant RIST, qui intervient sur des chantiers nécessitant un travail d’alignement des fonctions pour l’optimisation des processus d’innovation, ainsi que sur les programmes « innovation différenciante »

S’il fallait choisir deux ou trois ouvrages traitant du management de l’innovation (les plus importants, les incontournables), quels seraient-ils ? Et pourquoi ?

Quand j’étais responsable de l’« Innovation Management » chez CGG, j’avais un regard critique sur le titre de ma carte de visite. Gérer l’innovation me semblait un non-sens. Stimuler – oui, soutenir – oui, gérer – pas vraiment. Comment faire un plan sur le nombre d’idées qu’une organisation pourrait transformer en succès commerciaux? Et je n’étais pas le seul à m’interroger: sur internet, nombreux sont les professionnels ou experts (surtout du domaine IT) qui manifestaient leur mécontentement vis-à-vis de ce type d’approche (et de l’existence de ce type de postes dans les organigrammes…)

En réfléchissant un peu plus, je me rends compte qu’il y a un élément qui fait que mon ancien titre n’était pas si mauvais que cela ne parait. Car les deux ouvrages qui m’ont influencé le plus dans mon travail, dans le domaine de l’innovation, qui ont été écrits par des spécialistes en management, étudient l’impact du management de l’entreprise sur sa capacité à innover. La fameuse question rhétorique de Clayton Christensen dans son « Innovator ’s Dilemma » pointe la dépendance forte, même si contre-intuitive: « Why good management can lead to failure? » Et, sur les 250 pages qui suivent, le professeur de la Harvard Business School démontre patiemment qu’en établissant les priorités et allouant les ressources d’une organisation en utilisant comme critères de décision les principes économiques de base prêchés par ses collègues, on détruit la capacité d’apporter de l’innovation de rupture. Juste un exemple bien connu de logique « Christienseniène » : les marchés qui n’existent pas (encore) ne peuvent pas être analysés. Par conséquent, une organisation qui entend faire rentrer tous les résultats de son activité R&D dans le schéma classique de l’analyse des opportunités sur le marché dépensera de l’effort pour une cause perdue ; les managers n’auront pas l’information pertinente pour décider s’ils doivent ou pas investir dans une innovation de rupture.

En lisant Christensen, j’ai eu une autre surprise: retrouver une caractéristique qu’il attribue aux innovations de rupture qui avait été retenue comme importante aussi par Peter Drucker une douzaine d’années auparavant dans l’autre texte sur l’innovation que j’apprécie beaucoup: « Principles of Innovation » (inclus dans « Innovation and Entrepreneurship » ainsi que dans le « The Essential Drucker »). Christensen et  Drucker soulignent le lien entre la simplicité des innovations et leur succès, l’importance de ne pas surenchérir sur les caractéristiques des nouvelles solutions et de rester dans la zone où le client les comprend et les apprécie comme d’utilité immédiate.

C’est aussi pour cela que j’apprécie ces deux textes: pour leur simplicité, clarté et encrage dans le concret, dans l’application. Pour leur force d’argumentation qui exhorte les managers à ne pas « manager l’innovation » mais à nourrir cette dernière par une approche enrichie. Ne pas traiter les innovateurs comme preneurs de risques qui doivent être gérés mais comme ceux qui se concentrent sur les opportunités moins visibles qu’ils doivent manager eux-mêmes, avec le support de l’organisation. C’est aussi pour cela qu’aujourd’hui je ne m’occupe plus de l’« Innovation Management » mais, à coté des autres contributeurs de RIST, j’apporte mon support aux organisations innovantes.