Modernité, post-modernité et hypermodernité ? Pour une « néo-modernité » génératrice de vision collective et d’un progrès à la fois raisonnable et ré-enchanté. Une contribution de François Fort (CEO de RIST, enseignant chercheur à l’Université Paris Dauphine)

 

Les sociologues nous disent que l’esprit humain ne peut fonctionner sans catégoriser. Les historiens, les psychologues et les sociologues eux-mêmes sont soumis à cette règle eux qui, comme le rappelle Philippe Portier dans une précédente chronique d’ « En Sortir Grandis… », découpent volontiers l’Histoire en Mondes chronologiques. Reprenons rapidement, quitte à la caricaturer, l’Histoire telle qu’organisée selon ses Modernités successives, afin d’imaginer une prospective post-covid comme une vision construite par la Société toute entière pour assurer son progrès, et d’abord sa survie.

 

Difficile de dire (ça commence bien !) d’où remonte la Modernité dans notre sphère occidentale. Nous la situerons, quitte à déclencher des polémiques faciles, au cours du XIXème siècle. L’expression « désenchantement du monde », qui pourrait caractériser cette phase, correspond à un constat que Max Weber fait au début du XXème et portant sur le précédent siècle.  Il désigne le recul des croyances religieuses et magiques au profit des explications scientifiques et rationnelles. On voit bien que les Lumières du XVIIIème siècle s’inscrivent en précurseurs dans ce mouvement…Selon Weber, il signifie une perte de sens et un déclin des valeurs, tandis que la raison, la science et la technique sont au contraire valorisées, vues comme des facteurs de progrès social.

 

Le thème de la modernité, comme celui du progrès, constitue l’un des principaux fondements d’une certaine pensée « humaniste » située dans le temps.

 

À partir de la seconde moitié du XXe siècle, apparaîtrait la Postmodernité. Le concept de modernité était alors de plus en plus fréquemment remis en cause par les intellectuels, considéré comme arbitraire, car inféodé à l’idéologie du progrès et entaché par les échecs subis par l’Humanité.

 

Le concept de progrès est, en effet, largement battu en brèche, et la postmodernité est née d’un constat des faillites écologiques, économiques et sociales, et de l’échec des utopies révolutionnaires. Culte du présent et de la bonne gestion, et recherche du bien-être remplaçant la volonté de transformation de la société sont des caractéristiques des Postmodernes. L’efficacité remplace la légitimité, le management gestionnaire remplace le politique, les décisions sont le fruit de l’information. Cette postmodernité est un mode de reproduction sociale régulée par un souci de performance plutôt que de légitimité politico-institutionnelle.

 

Comme la connaissance « moderne » n’était pas certaine, objective et bonne dans l’absolu, le postmoderne se voit renvoyé à lui-même pour déterminer ce qui est vrai. Et c’est ainsi que l’optimisme de la modernité cède la place au désenchantement et à la désillusion. La postmodernité va se présenter à la fois comme un rejet et comme un dépassement de la modernité. Mais la postmodernité a coupé l’homme moderne de ses racines et de son identité, le plongeant dans une crise d’identité et une perte de sens.

 

L’hypermodernité est un nouveau monde où des individus et des communautés redéfinissent leurs regards sur les humains et leur environnement, sur leurs pratiques sociales, dans le but d’assurer soit leur survie et, d’abord, leur épanouissement personnel. Jaillissant au cœur même de la postmodernité, l’individu hypermoderne précède le modèle de société hypermoderne…Cette émergence se repère dés les années 80 et s’affirme avec netteté dans les années 1990-2000 dans les sociétés occidentales économiquement développées. Elle est marquée par les traits suivants d’une société où tout est exacerbé : globalisation des marchés et des flux commerciaux, instantanéité des phénomènes perçus via des médias glocalisés, hyperconsommation, recherche individuelle ou collective de la jouissance, de la santé, culte du corps, comportements violents, perte des repères sociaux et moraux collectifs et individuels, perte de légitimité des corps intermédiaires (Eglises, syndicats, partis politiques).

 

Mais Covid est arrivé, avec l’idée résurgente que notre planète peut être ainsi périodiquement bouleversée par les pandémies, jusqu’à l’équivalent du mythique « grand soir », ce qui s’ajoute aux dossiers déjà bien lourds du réchauffement climatique, des crashs financiers, des accidents nucléaires et du tarissement de nos énergies fossiles.

 

Est-ce le moment d’un nouveau basculement ? Trouver la ressource individuelle pour recréer du lien à l’échelle des Sociétés, et réinventer le mot « progrès » ? Trouver de nouveaux équilibres entre la magie de l’éloquence et la quête d’efficacité ? Alors se poserait autrement la question de la prospective, faisant de cette philosophie managériale d’inspiration « moderne », froide et technocratique un processus de construction sociétale d’une vision et d’un chemin complexe et incertain que l’on pourrait à nouveau appeler « Progrès ». Une « Néo-modernité » qui permettrait peut-être l’organisation d’un processus « total » (au sens des ethnologues) de remise en marche de nos Sociétés ?

 

François Fort