Mobilité dans la carrière des chercheurs :
Un enjeu pour l’Europe en temps de pandémie
La mobilité des chercheurs peut être géographique, sectorielle ou thématique. La mobilité géographique est une étape dans le parcours de carrière du jeune chercheur doctorant ou post-doctorant, élément décisif pour son recrutement dans les organismes publics. En ces temps de crise sanitaire et de confinement, un repli sur soi pourrait-il rendre les chercheurs français immobiles et ce, quelle que soit la nature de la mobilité ?
La mobilité internationale des scientifiques est indispensable pour assurer un développement dynamique du capital intellectuel de la France et de l’Europe. Des chercheurs mobiles, bien formés et créatifs sont des éléments importants pour produire les meilleures innovations issues de la recherche, composante essentielle de la compétitivité économique d’une région, d’un pays ou d’un continent. Les jeunes chercheurs ont d’ailleurs bien assimilé ce concept qui leur permettra d’être compétitifs, agiles (soft skills) et d’accroître leurs compétences (hard skills), comme recueillit par la méthodologie développée par François Fort[1].
Quelques chiffres pour la mobilité sortante… En France, la population de chercheurs était de 277 631 en 2015[2], tous secteurs confondus, dont environ 40% sont employés par le secteur public, mais les données consolidées pour la mobilité internationale ou européenne de ces chercheurs n’existent pas.
Le programme cadre Horizon 2020 (2014-2020) de la Commission européenne publie régulièrement les chiffres par pays des actions « Marie-Curie » (MSCA, Marie Sklodowska-Curie Actions), instrument de la mobilité des chercheurs après le doctorat. Aussi, nous savons que 1678 Français[3] ont été financés par les MSCA (environ 239 lauréats par an). En estimant à 20% le pourcentage de réussite au MSCA, on peut déduire très grossièrement que le nombre total de chercheurs français qui déposent une demande MSCA est d’environ 1200 par an. A ce chiffre, s’ajoute le nombre de chercheurs financés par les projets européens ou internationaux ou encore financés par les pays d’accueil (Etats-Unis, Asie, Australie, etc.). On est loin d’une donnée fiable sur cette mobilité sortante.
… et la mobilité entrante. Le besoin de faire venir des doctorants et des post-doctorants internationaux, hors Europe, trouve sa source dans la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques. Cette désaffection, bien documentée au tournant du XXIème siècle[4],[5], a été le déclencheur pour les laboratoires publics d’aller chercher des doctorants en dehors de l’Europe. En effet, en 1990, des études britanniques montrent dans les pays développés une désaffection généralisée des élèves du secondaires et des jeunes étudiants pour les carrières scientifiques[6]. En France, en 2013, 8000 nouveaux chercheurs étaient accueillis, dont la moitié étaient des doctorants et la majorité venait du continent africain. Ces chiffres sont basés sur le décompte des visas, aussi, les chercheurs européens venus en France ne sont pas comptabilisés. Ces données, bien que partielles, montrent que la mobilité en science, technologie et innovation fait partie intégrante de la carrière d’un chercheur. Des études effectuées par le groupe RIST sur la gestion des carrières des chercheurs des secteurs public ou privé expliquent que la mobilité est vue comme un élément de promotion[7]. Comprendre les choix de carrière des chercheurs est aussi essentiel pour mieux préparer l’avenir post-crise sanitaire.
La nouvelle Commissaire européenne Maryia Gabriel pour la Recherche, l’Innovation, l’Education, la Culture et la Jeunesse, en poste depuis novembre 2019, promet une Stratégie européenne des savoirs “European Knowledge Strategy” pour promouvoir la circulation des idées, des chercheurs et des étudiants dans l’Union Européenne[8], plaçant la mobilité, physique ou virtuelle, au centre de la stratégie de la nouvelle équipe. De plus, en pleine crise sanitaire, la Commissaire promet que les bourses de mobilité pour les étudiants (Erasmus) et les chercheurs (MSCA) seront maintenues[9]. En parallèle, Mme Gabriel souhaite avoir des données qualitatives et quantitatives sur les acteurs de la recherche et de l’innovation[10]. Convaincue de l’impact de la carrière des chercheurs et de leur mobilité sur le paysage européen de la recherche et de l’innovation, la Commissaire souhaite une cartographie des scientifiques européens, cette étude est importante pour préparer l’avenir de l’après pandémie.
La crise du COVID-19 nous invite à un changement dans la façon dont nous allons nous déplacer dans un futur proche. Alors irons-nous vers la mobilité virtuelle des chercheurs comme proposée en 2003 par l’ESF[11] ?
Ce n’est pas souhaitable. C’est au sein d’un laboratoire que se crée la connaissance, que se fait la transmission. L’ensemble des plateformes virtuelles ne remplacera jamais ce facteur d’interaction humaine nécessaire à la formation et à l’épanouissement de la créativité des chercheurs. Les avancées scientifiques dépendent de ces échanges et discussions fréquents.
Relever les grands défis sociétaux comme le changement climatique, la santé avec l’approche « One Health »[12], ou encore le vieillissement de la population fait partie des enjeux auxquels l’Espace européen de la recherche est confronté. Ces défis requièrent une mobilité géographique et thématique pour générer de nouveaux savoirs et compétences. Plus forts à 27 pays, les chercheurs européens de tous les champs disciplinaires contribuent très significativement à la compréhension de chacun de ces défis.
La crise sanitaire que nous vivons, et dont nous espérons sortir plus forts avec de nouveaux outils, nous met aussi face au défi « One Health », Une seule santé10. Toutes les sciences, naturelles, humaines ou sociales, sont sollicitées pour résoudre ce système complexe qu’est la pandémie du XXIème siècle. La sortie du confinement, où la crise nous enferme, doit être durable, efficace et inclure toutes les catégories de la société. Ce qui signifie que tous les champs de la recherche et de l’innovation : biologie, économie, géographie, mathématique, physique, sociologie, etc., sont sollicités pour revenir à une « vie normale ». Pour cela, les réunions virtuelles sont utiles, mais pas suffisantes. Et il faudra bien que ces scientifiques européens discutent, échangent, se voient pour construire ensemble et trouver des solutions.
Comptons sur les chercheurs pour maintenir une mobilité raisonnable, raisonnée et distanciée pour que les défis d’aujourd’hui se dissolvent dans les solutions de demain.
Véronique Briquet-Laugier
[1] Une méthode constructionniste et pragmatique pour l’étude de la carrière des chercheurs. François Fort (IMRI & DRM CREPA – Université Paris Dauphine), 2011.
[2] Rapport 2018 L ‘état de l’emploi scientifique en France – https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr /file/2018/08/4/Etat_emploi_scientifique_2018_1012084.pdf.
[3] https://ec.europa.eu/research/mariecurieactions/msca-numbers_en
[4] Institute of Medicine 2003. Pan-Organizational Summit on the U.S. Science and Engineering Workforce: Meeting Summary. Washington, DC: The National Academies Press. https://doi.org/10.17226/10727.
[5] Les carrières scientifiques : une approche fondée sur des éléments d’analyse comparative européenne. Rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche remis en Octobre 2004.
[6] Technology: Where are the new scientists? – What if they gave a university and nobody came? Many predictions suggest that few young people will want to work as scientists in the 1990s NEW SCIENTIST – TECHNOLOGY 7 April 1990 – By Jon Turney and Steve Donnelly
[7] Les grandes entreprises face aux nouveaux paradigmes de la gestion de carrière, Carine Eynard, Sanofi & François Fort, Groupe RIST www.rist-groupe.com
[8]https://sciencebusiness.net/news/new-rd-commissioner-aims-revitalise-european-research-area-east-and-west
[9] https://sciencebusiness.net/news/gabriel-research-and-innovation-critical-tackle-global-crisis
[10] https://www.aefinfo.fr
[11] New concept of Researcher Mobility – a comprehensive approach including combined / part-time positions – April 2013
[12] Une collaboration étroite entre la médecine vétérinaire et humaine est indispensable pour maintenir et promouvoir la santé de l’homme et de l’animal, pour économiser les ressources et pour préserver l’environnement. Cette approche interdisciplinaire a été baptisée One Health (Une seule santé).