Point de vue

Tout le monde utilise parfois son réseau comme ressource. Les réseaux sociaux et organisationnels représentent une forme de « capital relationnel » pour l’individu et de « capital social » pour le collectif (communauté, institution, entreprise, association). Le développement phénoménal du “social networking” numérique tente de rationnaliser la mesure et la gestion de ces formes de capital.

 En effet le capital relationnel de l’individu en provenance de son réseau informel (hérité des parents, de son parcours scolaire et professionnel, de sa position de classe) donne accès à de l’information privée, à des compétences multiples, à du pouvoir. Mais la gestion de ce capital relationnel est complexe. Elle demande beaucoup de temps et d’énergie mais elle ne peut pas être purement fonctionnelle et utilitaire. Elle cherche l’efficacité en s’appuyant sur une connaissance de la structure du réseau qui peut être – si l’on force le trait – soit dense, cohésive, contraignante et peu chère à entretenir en temps et en énergie ; soit peu dense, atomisée, peu contraignante et chère à entretenir en temps et en énergie. Sans cette connaissance, on peut passer beaucoup de temps dans les relations et les réseaux sans jamais savoir si l’on a la bonne structure pour ce que l’on veut faire.

 Mais la connaissance des réseaux est aussi importante car les avantages de certaines structures sont souvent contradictoires. La cohésion facilite la coopération en interne et l’intermédiarité permet d’accéder à des ressources en externe. Mais renforcer la confiance et la cohésion relationnelle peut créer un danger d’enfermement dans un entre-soi trop homogène pour permettre l’adaptation. De plus, lorsqu’on a appris à connaître son réseau pour voir ce qu’il peut apporter, encore faut-il pouvoir (essayer de) le modifier. Il faut alors utiliser des modalités considérées comme socialement acceptables pour développer son réseau.

 Le réseau est aussi une ressource pour le collectif. Les organisations peuvent toutes être vues comme des réseaux et sous-réseaux de relations. Elles comptent de plus en plus sur les réseaux de relations de leurs membres comme sur des ressources intangibles. Elles les utilisent pour recruter, surveiller les employés, identifier les acteurs-clés, les ‘potentiels’ et les leaders d’opinions ; empêcher de rendre publiques des informations privées ; assurer une présence en ligne (visibilité, accès direct aux clients, aux usagers), gérer la réputation, le droit à l’image, les préjudices moraux ; essayer de modifier les comportements. Ainsi les réseaux du collectif représentent de nouvelles formes de ‘discipline sociale’ en émergence, basées sur la personnalisation des relations – des formes qui ne sont pas toujours reconnues comme légitimes par tous. Au niveau du collectif aussi, certains dangers sont associés à la gestion trop ‘rationalisée’ des réseaux : conformisme, exclusion, invasion de la vie privée et remise en question des libertés individuelles (au travail, sur Internet, etc.), parfois même des formes nouvelles d’enfermement.

 Dans le domaine de la recherche scientifique fondamentale, ces formes de gestion des réseaux de relations individuels et collectifs se répandent tout en posant des questions vitales. La concurrence sans merci existe bien par moments, entre certaines équipes dans les dernières lignes droites, avec son utilitarisme direct et inconditionnel. Il reste que le fonctionnement en réseau le plus habituel et le plus heuristique est celui qui organise la collégialité bottom up et certaines formes de coopération entre concurrents – sans lesquelles la connaissance tacite ne circule pas, la dimension authentiquement exploratoire de la recherche disparaît, tout comme le sens des grands enjeux du futur. Beaucoup reste à comprendre sur les relations entre réseaux, organisations et marchés. C’est pourquoi le capital relationnel de l’individu et le capital social de l’organisation sont devenus des domaines prometteurs de collaboration Université-Industrie.

Emmanuel LAZEGA

Démarche RIST

Un Think Tank a été mis en place sur ce thème, animé par François Fort, et comportant un professeur expert (Emmanuel Lazega), trois consultants RIST et des membres de Sanofi et de Safran. Une dizaine de chercheurs des secteurs public et privé ont également été associés.

Les travaux du Think Tank débouchent sur la conception de deux démarches, qui sont proposées dès 2013 :

  • une formation-action permettant dans la durée à un chercheur ou un expert scientifique de développer ses réseaux tout en réfléchissant à ses enjeux futurs et sa dynamique scientifique, en se confrontant aux approches de collègues.
  • un suivi totalement individualisé assimilable à du coaching.

L’offre de RIST est donc centrée sur l’individu, sur la richesse de ses réseaux personnels mis en regard de son contexte (personnel et professionnel, présent et projectif), et non sur les réseaux des laboratoires, des institutions… Au cas par cas, une approche de conseil plus générale peut être également dispensée dans ces institutions.

 

Articles de recherche de référence produits par des chercheurs membres de RIST

LAZEGA, E., L. MOUNIER, et al. (2006). « Organizational vs personal social capital in scientists’performance: a multi-level network study of elite French cancer researchers (1996 – 1998). » Scientometrics 67(1): 27-44.

LAZEGA, E. (2007). Réseaux sociaux et structures relationnelles. Paris, PUF.